Décryptage du Programme Écologique du Front National

Un texte d’Ornella Guyet, dans le cadre d’un dossier plus large consacré à l’extrême droite et l’écologie à paraître sur son site Confusionnisme.info (Ici..)


Ecologie : Que dit le Front national ?

Le fait que le FN parle d’écologie ne date pas de son court compagnonnage avec Laurent Ozon, chantre de la Nouvelle Droite qui a conseillé Marine Le Pen sur ce sujet en 2011. Dès 1981, l’écologie figurait au programme de sa pré-campagne. Depuis 1989, le FN met régulièrement en avant les questions écologistes lors des élections auxquelles il se présente[1].

En 1996, Bruno Mégret a affirmé lors d’une formation de cadres que « Le Front national est le seul mouvement authentiquement écologiste de France » tandis que Pierre Vial, responsable de l’Institut national de formation du FN (et aujourd’hui de l’association Terre et Peuple) a renchéri :

« Notre congrès de mars devra élaborer une plate-forme politique en vue des élections législatives et régionales. Les Français attendent nos propositions, y compris sur l’écologie ».

Libération, présent lors de la conclusion de ce colloque, a précisé à l’époque que depuis 1990, Mégret et Vial ont milité pour que le FN «repense l’écologie».
Persuadés que «les partis écolo-gauchistes sont une espèce en voie d’extinction», ils prônaient un retour «à une éthique et une esthétique de la vie qui raniment le sens du sacré et de la durée, et permettent à l’homme de retrouver la conscience de ses racines et de son identité…». […] Ainsi «l’identité nationale» retrouverait son «essence écologique». Bruno Mégret assénait : «Défendre la faune, la flore, les sites, le patrimoine, c’est défendre ce que l’on est, c’est défendre son identité, sa vie.» Contre «l’écologisme cosmopolite», le délégué général du parti d’extrême droite «pose comme essentielle la préservation du milieu ethnique, culturel et naturel de notre peuple».[2]

En 2010 pourtant, Jean-Marie Le Pen associait encore « l’écologisme » à une « nouvelle religion des populations urbaines aisées ‘bobos gogos‘ de l’Occident » lors d’un colloque organisé par son parti, sobrement intitulé « Réchauffement climatique, mythe ou réalité ».

C’est donc logiquement qu’en février 2013 Marine Le Pen a lancé une campagne sur le thème de la « ruralité » lors d’une visite dans les Charentes :

« La ruralité est un élément fondamental et majoritaire de notre pays, a-t-elle alors déclaré. La campagne, c’est l’endroit où vivent en nombre les oubliés, ceux qui ont le moins la parole. Nos dirigeants sont en train de signer l’arrêt de mort de l’agriculture et de la ruralité. »

Sans oublier l’insécurité, qui « frappe les campagnes avec une brutalité inouïe. Les cambriolages en série sont devenus le fléau de notre monde rural. »[3]. Il s’agissait de lancer le site France-Ruralité, devenu depuis la vitrine des eurodéputés FN Edouard Ferrand et Philippe Loiseau.

Cette volonté d’investir le champ écologique se traduit aussi depuis 2012 par la création au sein du Rassemblement Bleu Marine (RBM) de plusieurs cercles de réflexion ouverts aux membres du FN en vue de promouvoir « une écologie réaliste et patriote », le dernier en date étant le Collectif « Nouvelle Ecologie » lancé le 10 décembre dernier autour de l’économiste Philippe Murer, qui est un proche de Jacques Sapir. Écoutons-le : « L’écologie ne doit pas être un totalitarisme qui impose sa loi sur tout, il faut qu’elle se conjugue avec le reste« , dit-il, affirmant que « EELV prône une politique mondialiste favorable aux marchés de quota et soumise aux lobbies des multinationales qui ont pignon sur rue à Bruxelles »

COLLECTIF FN ECOLOGIE

D’après la Horde et Alternative Libertaire qui font le lien entre l’Extrême Droite et l’écologie.

Ainsi qu’ Esprit Critique Révolutionnaire.

L’écologie dans le programme du FN

Le FN tente donc de récupérer à son compte les thématiques écologistes. Mais dans son programme[4], s’il est certes question d’écologie, c’est pour la subordonner au productivisme : « L’écologie ne doit en aucun cas être synonyme de décroissance, écrit-il. Il convient au contraire de ne jamais négliger les implications des mesures écologiques sur la croissance économique, en visant systématiquement les décisions écologiques les plus favorables au développement de l’économie nationale. A cet égard, toute création d’impôt au nom de l’écologie doit être refusée. » D’ailleurs, le FN prône la réindustrialisation, associée à une relocalisation de l’économie au nom du « produisons et achetons français ». Finalement peut soucieux d’intervenir sur le terrain écologique, le parti des Le Pen renvoie in fine à la responsabilité des individus et des entreprises.

S’agissant du nucléaire, et parce que selon lui « les énergies dites « vertes » ne sont aujourd’hui pas réalistes en l’état », le FN entend soutenir le projet ITER à Cadarache et poursuivre la construction de l’EPR à Flamanville, n’envisageant une éventuelle sortie du nucléaire qu’à « long terme » : autant dire jamais. Et du côté du gaz de schiste, c’est peu ou prou la même chose : si Marine Le Pen s’est déclarée « absolument contre » lors de la dernière campagne présidentielle[5], elle a depuis fait marche arrière en se prononçant en faveur de la prospection, première étape avant l’exploitation des sols[6].

Si le productivisme, le protectionnisme, la défense du nucléaire ou la lutte contre les cancers dont il est également question ne sont pas spécifiques au FN, en revanche, l’association problèmes écologiques/immigration est bien une thématique propre à l’extrême droite. En effet, pour le FN, « l’enjeu environnemental » est également « très lié […] à la maîtrise internationale des migrations »[7] Et de développer : « La maîtrise des phénomènes migratoires, couplée à une politique ambitieuse de coopération avec les pays souffrant d’une émigration massive, permettra de favoriser les perspectives de croissance et de développement harmonieux des zones de la planète aujourd’hui menacées par un saccage des ressources naturelles et l’anarchie qu’engendre (sic) les flux migratoires liés à la pauvreté. » On retrouve ici la nouvelle rhétorique de l’extrême droite justifiant la lutte contre les immigrés non plus par un racisme franc et affiché, mais par une entourloupe humanitaire (et ici, écologique).

Chassez le naturel, il revient au galop : les thématiques d’extrême droite transpirent à la rubrique « protection animale », s’agissant du respect de « l’interdiction de l’abattage des animaux destinés à la consommation sans étourdissement préalable », dont on peut penser qu’il vise en priorité – bien que ne les citant pas – les communautés musulmane et juive.

Enfin, à la rubrique « préservation de nos paysages et prévention des catastrophes naturelles » (sic), il n’est pas question de lutter contre l’envahissement publicitaire, mais de promouvoir une « intégration de l’urbanisme et de l’architecture dans l’environnement naturel et le respect de nos traditions architecturales. » Il s’agira de viser « la destruction des cités construites dans les années 1960 les plus vétustes et leur remplacement par un habitat de taille et d’esthétique traditionnelles ». Evidemment, le FN ne dit rien de ce qu’il adviendra dans ces conditions de leurs habitants, pauvres et/ou immigrés, qui seraient dans cette vision, on l’imagine aisément, remplacés par une classe de petits propriétaires bien « français », eux.

Une politique anti-pauvres qui se voit dans l’indigence de ses propositions en matière de transports, qui s’adresse surtout au classes aisées des centre-ville. « C’est en fluidifiant le trafic et le stationnement que l’on luttera efficacement contre la pollution », affirme Wallerand de Saint-Just, trésorier national du FN. Face au pic de pollution il propose « une augmentation significative du nombre de places de stationnement, permettant aux résidents de se garer facilement, sans tourner pendant des heures, et donc sans polluer pendant des heures ». On le voit : le FN ne prend aucunement en compte ces questions de mobilité ni dans leur dimension écologique ni dans leur dimension sociale, le transport étant un des postes qui émet le plus de CO2 à l’heure actuelle mais bien souvent aussi une nécessité pour les travailleurs qui habitent loin de leur lieu de travail, parfois avec un accès difficile aux transports en commun, et qui bien souvent n’ont pas les moyens de s’acheter des voitures récentes dites peu polluantes. Il ne dit rien non plus d’une des sources essentielles de cette pollution, à savoir l’industrie du transport routier, se cantonnant à en faire un problème reposant sur les seules épaules des particuliers. Il est intéressant aussi de noter que dans les villes qu’il contrôle ou a contrôlées comme Orange (aujourd’hui tenue par la Ligue du Sud de Jacques Bompard, ex-FN), les transports en commun à destination et en provenance des banlieues pauvres ont été drastiquement réduits voire supprimés, afin d’éviter que les habitants des quartiers populaires vus comme des étrangers et des délinquants en puissance ne viennent perturber la bourgeoisie du centre-ville.

Rien d’étonnant donc à ce qu’au niveau international, le FN se prononce contre la conclusion d’un accord de réduction des gaz à effet de serre…

Au niveau local toujours, l’écologie est avant tout vue comme un moyen pratique de justifier des coupes budgétaires :

« L’écologie c’est une nouveauté au FN. A Hénin-Beaumont, c’est une source d’économies comme pour l’éclairage public. Mais moi, je ne veux pas d’éoliennes dans ma ville« ,a tranché Steeve Briois… Il y a encore du travail.

En résumé, pour le FN, « le respect des lois de la nature et la maîtrise du développement économique, agricole et industriel de la France participent par ailleurs de la défense de l’identité nationale »[8]. Et en effet, l’écologie n’est qu’un prétexte pour servir sa soupe nationaliste, ce que Marine Le Pen appelle le « patriotisme écologique »[9] et qu’elle a résumé ainsi lors de la conférence de presse de lancement du Collectif Nouvelle Ecologie :

«  Quand on est patriote, on est écologiste. Et inversement : quand on est mondialiste, on ne peut pas être sérieusement écologiste ».


Pour aller plus loin :

[1] http://www.liberation.fr/tribune/0101275020-les-deux-fn-qui-partagent-depuis-barres-et-maurras-certaines-racines-avec-l-ecologisme-continuent-leur-opa-rampante-sur-les-themes-de-l-environnement-les-habits-verts-de-l-extreme-droite

[2] http://www.liberation.fr/france/0101197465-le-fn-programme-un-national-ecologisme-megret-vante-les-lois-naturelles

[3] http://www.sudouest.fr/2013/02/10/marine-le-pen-drague-la-france-rurale-en-charente-962122-710.php

[4] http:/www.frontnational.com/pdf/Programme.pdf, p.31. Sauf mention contraire, les citations suivantes en sont extraites.

[5] http://www.usinenouvelle.com/article/cinq-questions-derangeantes-posees-aux-candidats-a-la-presidentielle.N172604

[6] http://www.usinenouvelle.com/article/gaz-de-schiste-marine-le-pen-face-a-ses-contradictions.N187484

[7] http:/www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/avenir-de-la-nation/ecologie-securite-alimentaire-et-industrielle-protection-animale/

[8] http:/www.frontnational.com/le-projet-de-marine-le-pen/avenir-de-la-nation/ecologie-securite-alimentaire-et-industrielle-protection-animale/

[9] http://www.alternativelibertaire.org/?Extreme-droite-Les-liaisons

http://www.huffingtonpost.fr/2014/12/07/fn-ecologie-patriote-preference-nationale-vert_n_6255314.html

http:/www.frontnational.com/2015/01/pic-de-pollution-a-paris-lecologie-comme-paravent-de-lincompetence-municipale/

http://lahorde.samizdat.net/2014/12/28/extreme-droite-et-ecologie-2/

http://www.alternativelibertaire.org/?Extreme-droite-Les-liaisons

http://espritcritiquerevolutionnaire.revolublog.com/la-nouvelle-ecologie-du-front-national-a114373986

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